Urma I, série de 21 photographies, avril 2010, Bucuresti.
Le lieu choisit pour la réalisation de cet installation n’est pas un hasard : Piata Romana, Bucarest, grande place et point de circulation important ; point de rencontres, de passage. Intéraction sentre individus dans leurs différents modes de locomotion : piétons, automobilistes. Carrefour d'individus, d'entre deux, comme s'il ne se passait rien et en même temps une foule d'informations se transmettent autour de individus.
On s'aperçoit en observant cette fourmilière que chacun suit son rôle au sein de cet espace, même si l'individu a tendance à se fondre dans la masse de la foule, il en ressort tout de meme une individualité, une particularité propres à chacun. Ils suivent parfois un trajet quotidien, circuit qui interroge donc la répétition des gestes dans le temps, la traversée; passage obligé pour certains, hasard des circonstances, pour d'autres. Les gestes semblent mécanisés tant la foule est intense et continue, l'individu s'efface presque, laissant apparaître un pion traversant l'espace.
L'espace visuel qui englobe l'individu joue également un rôle dans cette expérience. La multitude de publicité qui parcours tout le tour de cette place circulaire sollicite notre oeil en permance, du fait qu'elle soit en mouvement, qu’elles défilent ou bien clignotent en continu. A cela s’ajoutent d’autres sources d’informations, telles que panneaux d’indications routières, feux tricolores, et autres sources d’informations ambulantes. Nous produisons et consommons des images, ces dernières jouissent d’une autorité quasi illimitée dans la société moderne: les images jouissent de pouvoirs extraordinaires pour déterminer les exigences que nous manifestons devant le réel (...) et sont indispensables (...) à la stabilité de la communauté et à la poursuite du bonheur individuel. Les images ont le pouvoir de se substituer à la réalité, elles sont une interprétation du réel mais aussi une trace, une sorte de stencil immédiat, comme l’empreinte d’un pas ou d’un masque mortuaire. (in Sur la Photographie, Susan Sontag, 1973, Le monde de l’image, p.211).
Cette foule d’informations visuelles qui nous environnent s’intègre dans notre capital d’images inconscientes, elle est partie intégrante de notre quotidien, notre réalité personnelle. Toutefois à vouloir trop se montrer en masse, elles deviennent pour nous banales: s’aperçoit-on toujours de leur présence?
Dans Urma I, mon travail consiste à questionner l’individu comme source d’emmagasinement d’images dans la ville. Je suis partie du constat que nous, individus, sommes destraces dans la ville, des traces ambulantes qui laissent leur empreintes dans les lieux urbains, de par notre déplacement, les itinéraires que nous parcourons tout au long de notre journée. Nous usons la ville, comme les images nous usent et nous façonnent, elles construisent notre réalité présente, passée et future. Réalité que nous percevons grâce aux images qui nous environnent. Le besoin de voir la réalité confirmée et le vécu exalté par des photographies constitue un mode de consommation dont personne ne peut se passer. La photographie implique que l’on a un accès instantanné à la réalité. Mais la conséquence de cette pratique de l’accès instantanné est une autre façon de créer l’éloignement. Posséder le monde sous forme d’images, c’est précisément refaire l’expérience de l’irréalité et de l’éloignement du réel. (Susan Sontag)
En pratique dans mon travail, j’introduis dans la ville un élément étranger au quotidien: un morceau de mon corps, moulé dans des bandes de plâtre. C’est une autre forme d’amener l’image dans la ville, de la faire subir à l’individu dans son itinéraire. Elle fait obstacle dans son chemin quotidien. J’ai remarqué, en général, que nous ne prêtions pas réellement attention aux éléments visuels qui nous entourent, ils évoluent petit à petit autour de nous, mais ne sont pas flagrant malgré leur dimension: et l’exemple des immenses publicités, dans Bucarest, qui ornent nos bâtiments est flagrant. Toutefois nous recevons ces informations un moment ou un autre, de quelle façon?
La notion de corps nous évoquent beaucoup d’images, parfois celles ci nous sont communes, font références à notre passé, nous évoquent des sentiments qui peuvent aller du dégout au désir. J’ai donc placé un moulage de ma jambe droite dans une poubelle, sur la piata romana, de façon très furtive, de la même manière que l’on peut jeter un déchet dans les poubelles publique. A ce moment elle ne m’appartenait plus, mais devenait alors un élément du paysage urbain. Mes photographies oeuvrent pour faire trace de cette expérience, trace limitée dans le temps: une heure et trente minutes.
J’ai été agréablement surprise par la réaction des individus, tant elles sont diverses. Cela est certainement du au fait qu’ils ne se sont pas vu observés par mon objectif. En effet, j’étais placée dans un des immeuble qui entoure piata romana, au balcon du 7ème étage, ayant ainsi un panorama incontournable pour observer la scène. Mon angle d’observation photographique est pratiquement toujours le même: la jambe doit rentrer dans mon champ de vision. Les individus ne se sentant pas photographier, et surtout observer, ils sont libres de leurs mouvements de réactions. C’est ainsi que j’ai pu observer beaucoup de violence: les gens frappaient dans la jambe mais souvent avaient du mal à la toucher dans le sens tactile, directement avec leur peau, ils préféraient passer par un objet extérieur: parapluie, roller, sac... Toutefois si ils la touchaient, c’était avec dégoût, s’essuilliant leur main immédiatement après l’acte, comme si ils avaient à faire à un être mort. Il y a eu beaucoup d’indifférence également, et parfois les passants ne l’ont pas remarqués.
L’objet a suivi un parcours dans l’espace, il a été déplacé à plusieurs reprises, donnant lieu à d’autres réactions, il a fini par être volé par deux individus masculins qui se disputaient à propos de cet objet-intrus. Ce travail est une critique de la société de consommation, ne pas rester passif face aux publicités et tout autres éléments visuels qui remplissent notre espace urbain, mais plutôt réagir face à celle ci et s’exprimer.
Un des nombreux travaux de Iosif Kiraly s’oriente sur la critique de la société de consommation, je peux me référer en cela dans mon travail. Ce travail consistait à installer au sol, dans les rues, des photographies de crachas, afin de faire réagir les passants face aux publicités et images exposées dans la rue. Les crachas, ce sont les passants qui les produisent, ils sont donc invités à réagir contre l’espace urbain qui les entoure.
Ci- dessous: photographies de Julie Guiches, série Full :
Circulations. La trame de la ville et le quotidien sont prétextes à plusieurs études: topographique, anthropologique, sociale et poétique. Je reconstruis l’espace et modifie les flux urbains pour transformer la ville en théâtre, les passants en danseurs. Je regarde la ville dans sa globalité, ou à l'opposé dans ses détails, pour discerner les espaces où chacun cherche une place.